lundi 3 décembre 2018

Jour 58 : Papote, bière et chiens

Mon portable vibre.

"Coucou. Comment ça va par chez vous ? Ah ici, c'était la poisse phénoménale. Maintenant, c'est fini et j'en deviens presque parano... Ça te dit une balade avec les chiens un de ces quatre ? Bonne soireille" 

 Il y a des gens avec qui j'ai perdu tout contact, très vite, et sans grande raison, malgré les moments forts que nous avons parfois partagés. Et puis, il y a les ami.e.s de longue date qui maintiennent le contact et avec qui je partage à l'occasion quelques moments cordiaux. Il y en a peu.

Je réponds aussitôt :

"Coucou. Ici, j'ai repris des études et je suis fort occupée. Mais ça me ferait plaisir, oui, certainement que tu viennes. Tu vas aussi me trouver changée, mais à l'intérieur tout reste pareil..."

Je découvre sa réponse avec plaisir :

"Tu fais une transition ? Désolée, je suis délicate comme un parpaing dans la gueule mais en tout cas, je suis contente pour toi."

C'est bien son style : respecter l'autre pour ce qu'iel est, mais le faire d'une manière très directe qui laisse entrevoir un caractère franc et insoumis.

M. est une punk anar férue de squats et de littérature ainsi qu'une militante engagée pour la cause animale. On peut se chamailler sur des questions liées à la pensée libertaire qui a aussi influencé la mienne, faire entrechoper nos pintes, évoquer les exploits de nos compagnons non-humains et partager des découvertes musicales.

Aujourd'hui ne dérogera pas à la règle. Maxi 50cl et chips sont au menu. Papotes aussi tandis que les canidés, eux aussi rebelles, se bagarrent gentiment.

Moi, je suis plutôt félin donc j'ai mis ma robe rouge à motif léopard, des bas, et un maquillage adapté.

- Donc, maintenant, c'est "elle" que je dois dire, me demande M. d'emblée.
- Oui, je préfère ou alors ne pas me genrer.

Ma réponse est toujours la même.

- Oh, je suis désolée de te demander ça de suite, s'excuse-t-elle mais au moins je sais ce qu'il en est et je peux le respecter.
- Faut pas t'excuser. Si tout le monde faisait comme toi, ça faciliterait pas mal de choses.

Ensuite, nous n'en parlons plus. Et c'est bien normal : les personnes transgenres sont des personnes avant tout. Elles peuvent aiment discuter de sujets divers, exposer leurs projets, se tenir à l'écoute de ceux des autres puis tendre l'oreille pour écouter ce qu'on souhaite leur confier.... et profiter de la nature et du soleil pour laisser s'ébattre trois zouaves de chien.ne.s : un petit têtu, un moyen au lourd passé et un grand tout fou. 

Bref, ma première identité, celle qui vient avant les autres, c'est celle d'être humain. Rien de plus naïf formulé de cette façon, mais rien de plus vrai également. C'est rassurant.

Tout juste, M. me glisse-t-elle au hasard de la conversation :

- Tu sais, ça m'a quand même surprise au début mais quand je t'ai vue, ça m'a paru naturel.

Un commentaire simple et sans complexe qui en devient un compliment.

Et ça me fait du bien : d'ici quelques jours, j'ai rendez-vous avec un psychiatre pour attester de ma transidentité et m'ouvrir l'accès aux soins.



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