lundi 17 décembre 2018

Jour 44 : rester toujours "il"

Maman me soutient. Maman me comprend. Du moins, elle essaie sincèrement.

Elle me raconte aussi des anecdotes au téléphone, avec plus ou moins de maladresse.

Comme cette histoire d'un soi-disant "homme habillé en femme" qu'elle avait prise pour une fille cisgenre et qui, toujours d'après ma mère,  "attendait son opération". C'était lors d'un souper au restaurant avec sa soeur et la personne dont elle parle est serveuse. Je pense que Maman, même après mes explications, n'a toujours pas intégré que la serveuse en question était une femme transgenre et que le travestissement relevait d'une toute autre réalité.

Maman est tributaire d'une vision binaire, hétéro-cis-normative des transidentités, celle des reportages télé racoleurs. Je ne lui en veux pas, c'était mon cas avant et c'est toujours celui de la majorité des gens. Mais après avoir fait un grand pas en avant, celui de m'interroger plus en profondeur sur mes ressentis et mon vécu et d'entrer en contact avec d'autres êtres comme moi, je ne pouvais que changer mon point de vue face à la multitude de récits qui nous unissait, nous les personnes transgenres.

Maman se demande aussi si elle a été une bonne mère parce que je ne suis pas cis. Parfois, elle feint de s'excuser pour ne pas avoir pu tirer la conclusion que j'étais trans sur base des indices de non-conformité de genre qu'elle avait relevés. Parfois, elle se ravise, avance que non, qu'elle ne pouvait rien savoir et qu'elle n'avait rien remarqué...

Ses interrogations me touchent, me montrent qu'elle cherche à comprendre et qu'elle est animée de bonnes intentions, même si elle ne parvient pas encore à être tout à fait honnête vis-à-vis de ses propres ressentis. Mais les interrogations de ma mère en disent également long sur la façon dont les personnes transgenres sont considérées par la société. Pourquoi, en effet, devrait-elle s'excuser de ma transidentité ? Est-ce une maladie qu'on "attrape"parce qu'on a une mère négligente ou est-ce une particularité qui participe de la diversité humaine ? La réponse est pour moi évidente et j'espère qu'elle le sera également pour les personnes qui me lisent.

Ma mère ne s'excuse pas de mon ossature fine par exemple, et pourtant c'est bien elle qui me l'a transmise quand je vois la lourdeur du corps de mon père.

Tiens à ce propos, est-ce que cet homme rustre que je ne vois plus depuis des années s'excuserait-il lui? Est-ce qu'il n'aurait pas envie plutôt de me tuer sur place en découvrant que son unique fils est en fait plutôt sa fille ?

Dans notre petit monde patriarcal, bien souvent seules les femmes ont encore le réflexe de s'excuser en matière d'éducation donnée à leurs enfants.

J'espère que mon coming-out me rapprochera de Maman comme il m'a, jusqu'à présent, rapproché de ma compagne. Je peux aussi compter sur le soutien de l'une de mes soeurs qui m'a adressé un gentil message en apprenant la nouvelle. Elle était même triste que je n'ai pas osé parler de cette différence plus tôt... Dix ans nous séparent pourtant. Quand elle est née, cela faisait déjà des années que notre père me violentait parce qu'à ses yeux, "je ne serais jamais un homme".

Je partage aujourd'hui un repas avec Maman et ma soeur dans un snack asiatique, à leur invitation. Pour que ce moment se déroule sans malaise pour elles comme pour moi, j'ai simplement demandé à être désignée par mon diminutif, aussi bien féminin que masculin, comme elles prenaient parfois l'habitude de le faire.

Maman n'a pas réussi. Pas une seule fois.

J'espère que cela viendra.
Je ne veux pas rester toujours "il" ni être "un homme habillé en femme" à ses yeux.


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