mercredi 5 décembre 2018

Jour 56 : Effet de meute

Quand on vit avec une sirène, il est cruel de ne pas lui cuisiner de temps à autre un bon plat de poisson. Cela faisait plus d'un mois que nous n'en avions pas mangé. Nous en avions envie toutes les deux.
J'ai donc enfourché ma bécane pour aller jusqu'au supermarché le plus proche, qui fermait à 18h30 au lieu de 19h30 puisque nous étions dimanche. Tout se passe sans problème, je rigole même avec le personnel qui m'a connu quand je tentais d'incarner un homme. 
Je sors, fais mes sacs, charge le vélo.

Une bande de sept gars d'environ 18-20 ans débarque alors que le magasin ferme et constate qu'il est impossible d'entrer. Ils commencent à donner des coups sur la porte en s'écriant : "Ouais, ça va pas ! Et nos bouteilles de vodka rouge alors ! Ce soir, on doit se mettre une guinze !". 
Il est 18h40, les caisses sont fermées, le personnel féminin a bien raison de ne pas laisser entrer ces sauvages qui respirent l'intelligence à plein nez. 

Ils se tournent alors vers moi et me demandent, d'abord poliment : 
- Madame, pourquoi que le magasin a fermé ? 

Je réponds, doucement, avec une économie de mots : 
- Le dimanche, ça ferme une heure plus tôt. 

Ils me dévisagent. Ils ont compris. J'ai toujours, heureusement, de quoi me défendre sur moi. Je me dépêche alors de charger le vélo et je file. J'entends leurs cris :
- Ah Madame, t'es une vraie Madame hein toi ?

Trop frustrés de ne pas avoir eu l'alcool qu'ils souhaitaient, trop cons pour comprendre qu'il suffit de faire 500 mètres pour trouver de la vodka rouge, ils écument comme des chiens qui ont la rage. 
Je me dis que je ferais une cible facile. Heureusement, j'ai encore pas mal de force dans les mollets et, même chargée, j'impose vite de la distance avec mon vélo.

Le plus extraordinaire, c'est que sur le moment, je n'ai même pas eu peur. Je n'ai pas trop stressé, je savais exactement ce que j'avais à faire. Un contraste total avec avant : cela faisait des années que je ne m'étais plus fait emmerder en rue. Pourtant, j'avais la peur chevillée au corps constamment. 
Comme quoi, il est doux d'être soi, même dans les moments critiques. 

Pas vraiment une agression donc, plutôt une forte tension. Mais c'est la première fois, en deux mois de transition, qu'une telle confrontation m'arrive et cela suscite au moins la réflexion. L'agression de Julia, une femme transgenre, en plein coeur de Paris, nous a enseigné qu'un "effet de meute" peut être à l'oeuvre, comme si un instinct bestial et primaire se manifestait collectivement à la vue d'une personne transgenre, les mâles bêta se sentant remis en cause, on ne sait pas trop pourquoi d'ailleurs, à eux de nous dire ce qu'il y a dans leurs esprits tordus - si tant est qu'ils soient capables de l'exprimer...

Quelques jours plus tard, je suis revenu dans ce magasin. J'ai évoque la scène avec l'une des deux vendeuses. Elle m'a appris qu'il s'agissait d'habitués et qu'ils comptaient commettre un vol parce qu'ils savaient que seules deux filles étaient en caisse à cette heure-là....  

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