mardi 20 novembre 2018

Jour... L'amitié en question

Je viens de perdre, je pense, une personne importante dans ma vie.
C'était un pote que j'aimais croiser, à peu près en toutes circonstances. Toujours une anecdote à divulguer, le genre de truc qui craque sous les dents. Avec lui, on se serait cru au cinéma. Sauf qu'il connaissait la vraie vie et ne mentait pas. Le genre de gars sur qui tu peux te fier, qui tient parole envers et contre tout. Une fois, j'ai été prise dans une très sale affaire. N'importe qui de sérieux ne serait pas vu me choper vite fait en voiture pour me tirer d'un tel embarras. Lui est venu.
"Dès que t'es dans le secteur, on se capte" comme il disait. Et ce depuis plus de dix ans. On se voyait toutes les semaines.
Avec lui, j'ai écumé les squats d'un bout à l'autre du pays. Je me suis retrouvée dans n'importe quel état à pogoter sur n'importe quelle musique pour défendre de nobles causes clandestines. Le lendemain, on s'appelait, rigolant de notre état de délabrement physique et mental aux heures les plus creuses de la nuit.
Ensemble, on a désobéi, tant de fois. Depuis les poubelles qui crament quand des élus fascistes prêtaient serment au conseil communal jusqu'à des choses que l'ordre social réprouve mais que les convictions les plus intimes de la Justice, comme principe supérieur, requièrent à mon sens en ces temps troubles que nous traversons.
En fait, ce n'était pas un pote, mais un ami. L'un des meilleurs. Le seul que je connaissais depuis aussi longtemps et avec qui je gardais contact.
Et là, rien ne va plus. On ne se "capte" plus. Tout en vivant proche l'un de l'autre. Et ce, depuis des mois et des mois.
Quand j'ai fait mon coming-out, il n'a pas réagi. Seulement, quelques semaines plus tard, il m'a glissé subrepticement "Cela ne change rien pour moi", le genre de phrase qui voulait dire son contraire, le genre de propos paradoxaux que C. n'aurait jamais tenus auparavant.
Il faut dire que notre amitié indéfectible composait avec un très grand paradoxe : homme cisgenre, il a adhéré à bien des stéréotypes de genre. Adepte de muscu, de tir sportif, de cheveux au ras du crâne,... Même quand il me pensait homme, mon apparence et mes ressentis étaient le négatif des siens.
D'ailleurs, la première fois que nous nous sommes croisés, je n'aurais jamais cru que l'on serait si potes un jour. Le premier discours qu'il m'a tenu était d'une transphobie crasse. Je ne détaillerai pas le propos tant il était choquant. J'avais été prise à partie comme homme cishet alors que nous évoquions un tout autre sujet. J'étais sur le balcon d'un café. Après l'avoir entendu, je suis restée là, dans le vent, à me glacer les sangs pendant dix minutes. Je savais déjà à l'époque que je n'étais pas un homme, mais je refusais d'envisager que j'étais trans, par manque d'information pertinente et de peur de multiplier mes problèmes familiaux et relationnels.
Par la suite, C. n'a plus tenu de tels propos. Il a évoqué le sujet une ou deux fois lors de discussions variées et se montrait toujours plus ouvert. Notre seule incompréhension en dix ans fut au sujet de l'envoi de vidéo à caractère porno parmi la pléthore de liens qu'il partageait avec moi. J'ai dû lui dire et lui répéter que cela ne m'intéressait pas, parce que personnellement je suis asexuelle et parce que politiquement je suis suis opposée à ce type de production souvent sexiste.
Et puis, j'ai compris : il aimait consommer de la pornographie d'un certain type, mettant en scène la figure cissexiste de la "shemale".
J'ai donc tenté de le déconstruire, à coup de vidéos et de lectures safes et démonstratives. Pendant des mois. Parfois, il a réagi et nous en avons discuté en ligne ou au téléphone. Il devait comprendre que j'étais aux antipodes du stéréotype de la shemale. Je pensais les choses en bonne voie...
Hier, on devait enfin se revoir. Vu les obligations du jour, et mon point de confort par rapport à celles-ci, j'avais adopté une expression de genre androgyne plutôt que féminine. Je voulais qu'il réalisé que j'étais toujours la même personne. Lui dire : "Si je t'avais dit que c'était pour le style et que je me sentais homme, je sais que ton attitude à mon égard n'aurait pas changé, pas vrai ?." Histoire de le confronter à ses représentations avec cette franchise qu'il apprécie tant en d'autres circonstances.
Un ami commun était revenu de l'étranger, comme chaque année en cette période. Cela faisait une raison de plus pour papoter IRL tous ensemble. En 2017,d'ailleurs, quand je tenais encore mon petit lieu alternatif, c'était "Allez viens, on va chez F.. Y a soirée punk. On va se boire des bières et discuter comme au bon vieux temps". Et ce fut une soirée mémorable...
Là, C. s'est décommandé. Il a bredouillé des prétextes au téléphone. Une histoire bidon de pizza à commander. J'ai pas compris.
Je suis triste. Tellement triste que la condensation des larmes a brouillé ma raison, Je me suis retrouvée dans le mauvais bus, je suis descendue là où je pouvais et j'ai marché plus d'une heure les bras chargés pour regagner mon domicile. Alors que je tentais le stop, un type a ralenti sans s'arrêter, m'auscultant sous toutes les coutures puis a démarré en trombe, sans doute après avoir conclu que je n'étais pas une fille cisgenre.
On prend "le risque passer d'un type d'inconfort à un autre" me disait encore quelqu'un hier.
Si seulement la société n'avait pas enfoncé une si mauvaise vision de nous dans le crâne de tant de gens, on pourrait peut-être passer à l'euphorie de genre plutôt ...

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